Terres grecques

Textes dits par Léon Dony, Marie-Eve Stévenne et Jean-Claude Frison.

Musique de Mimis Plessas (General Publishing Company S.A., Athènes).

Musiques additionnelles :

          - musiques de la Grèce Antique (Harmonia Mundi, Arles),

          - musiques populaires crétoises (PCL).

Montage : Film Editing Room, Bruxelles.

Montage négatif et mise en conformité : Jean-Louis Dewert.

Mixage : Thomas Gauder et Philippe Baudhuin - Studio l’Equipe, Bruxelles.

Générique et animation : Jacques Campens - Aniway Bruxelles.

Images et réalisation : Jacques Lambert.

PCL (Productions Cinématographiques Lambert).

 

 

 

 

De tous les films que j'ai eu la chance de pouvoir présenter en tournées en Belgique, au Luxembourg, en Suisse et en France, c’est indiscutablement le préféré… du cinéaste.

Mais aussi, le plus détesté du conférencier !

 

Comme le Je reviens du Yémen et t'en rapporte des nouvelles vraies d’Alain Saint-Hilaire, Terres grecques est un film qui n’avait nul besoin de la présence de son auteur pour vivre sa vie. Mais le présenter en salles demeurait tout de même un réel plaisir : voir la tête des spectateurs venus parfaire leurs connaissances de la civilisation grecque… et tombant soudain sur un OVNI, bien sûr que ça n’a pas de prix !

- Ah, monsieur, ce n’était pas du tout ça qu’on était venu voir !

… Heureusement qu’ils ajoutaient le plus souvent, de manière polie pour d’aucuns, néanmoins sincère pour la plupart, je pense : 

- Mais on ne regrette pas du tout notre soirée !

En réalité, le conférencier que j'étais, esquissait, en une interminable présentation, tout le parcours grec, des Pélasges au siècle de Périclès… Quel enfer pour lui ! Lui qui était né avec tout plein de petits Alzheimer gloutons groupis dans l’antre de ses neurones…

Mais après, quel régal pour le cinéaste, que j'étais en principal, et qui jouissait alors des réactions d’un public sorti miraculeusement de l’ombre par la réflexion des lumières de l’écran…

 

Quiconque a vu le film se souviendra sans doute de cette séquence surexposée où ne subsistent plus, dans un décor de banquise et un silence glacial et prolongé, que de rares éléments de couleurs vives et violentes. Et dedans, quelques personnages immobiles, dont une mémé au visage piqueté par l’ombre surréaliste de son chapeau de paille. Un petit vieux ouvrira une barrière outrageusement grinçante et mettra fin à la séquence muette en saluant le public et en disparaissant tout aussitôt au plein milieu de l’écran…

 


  Qui a vu le film ne peut, là encore, que se souvenir de cette bergère vigoureuse et virile, bombardant de cailloux ses moutons et les sifflant, deux doigts dans la bouche, tellement fort qu’elle en stoppe brusquement la musique du film. Puis, se tournant vers le spectateur qu’elle vient de débusquer, elle le fustige d’un regard insistant, assassin.

A Angers, un public venu nombreux au cinéma Gaumont Colisée (plus de 1.000 spectateurs en une seule journée, ce n’est pas rien) lui décernera le prix du meilleur second rôle dans le film documentaire !… Un gag bien sûr, initié par l'organisateur local...

D’autres séquences du film resteront  probablement gravées dans la tête des spectateurs, telles celle des anastènaria (danses pieds nus sur des braises),  celle encore des fours à chaux, ou, en ultime exemple, celle du petit train qui, sans se presser, et sur une musiquette appropriée, passe et repasse le canal de Corinthe.... en ayant l’air de susurrer « Est-ce que vous m’aimez ? » (comme Raymond Devos dans Pierrot le Fou de Godard !)

Photogramme Terres grecques 

 

 Demandez le programme !


Dans l’avant-propos du programme, je m'expliquais très longuement sur l’esprit dans lequel j'avais conçu ce film.


« Le film Terres grecques, promis, juré ! je ne l’ai pas voulu didactique : ni cours de géo, ni cours d’histoire. Je l’ai conçu, disons, comme une flânerie tranquille à laquelle vous, spectateurs, seriez conviés de manière un peu privilégiée… Ou alors, comme une succession de portraits sans importance, pire ! sans absolue nécessité…   avec des visages et des paysages.   Mais des visages surtout : hommes, femmes, enfants, monstres-araignées, bergère au regard assassin… oui, c’est cela d’abord, Terres grecques…

Il n’empêche ! Au travers d’images qui se craquèlent parfois, ne voit-on pas, ici et là, d’antiques civilisations tenter, vingt-quatre fois par seconde, quelque résurrection soudaine ?… Oui, des bribes de civilisations, je l’avoue, ou alors des réminiscences qui se sont imposées. Incontournables, mon cher Einstein ! C’est que la Grèce a tout inventé : de la royauté au pouvoir aristocratique, de la tyrannie à la démocratie, de l’anarchie à la dictature, de la tragédie à la poésie, elle a tout expérimenté. Mais pas toujours avec succès, c’est vrai : Icare, en premier astronaute, en sait quelque chose ! Les textes d'Hippocrate m’ont parfois fait rire aux larmes ! Et l’Atlantide de Platon m’a fait rêver ! Mais Homère m’a privé de ma dernière naïveté : moi qui prenais Jolly Jumper pour le premier cheval parlant de l’Humanité ! Quelle erreur! Il y a trois mille ans, Xanthos se retournait brusquement vers Achille, son cavalier, pour lui annoncer sa mort prochaine. Moi, je ne voudrais pas d’un tel cheval…

Terres grecques, c’est d’abord une flânerie. Ensuite, deux ou trois choses que je sais de la Grèce… »

 


Photogrammes Terres grecques.

En haut, les Météores. En bas, le Mont Athos.

Mont Athos.

   Photogramme Terres grecques.

Mont Athos.

Photogramme Terres grecques.

Mont Athos.

Photogramme Terres grecques.

Homme du four à chaux. Photo extraite de Terres grecques.

 

L’esprit du film



 

Dans un article et une interview consacrés à ce film (parus dans un périodique du Sud de la France), j'expliquais l’esprit et l’ambiance qui avaient prévalu à l’élaboration de ce film.



 

Deux ou trois choses que j’ai toujours eu envie de dire à propos deTerres grecques


 

« Lorsqu’il s’agit de son propre film, en parler est toujours délicat.

D’abord, ça m’apparaît toujours, à moi, comme une démarche narcissique et prétentieuse. Tronquée aussi : on ne pense jamais que du bien de ses propres enfants. Ne comptez pas sur moi pour déroger à la règle:  Terres grecques - De l’Olympe aux Îles grecques - lave plus blanc que blanc !

Peut-être par timidité, peut-être par incompétence - sait-on jamais ? - je me sens toujours un peu dans la situation de Guido, le héros ou l’antihéros du 8 1/2 de Fellini. Face aux juges ou critiques, comme lui, j’ai toujours envie de me débiner sous les tables. Dieu m’en préserve toutefois ! Les dames présentes pourraient très mal interpréter ce geste...

La création d’un documentaire m’apparaît infiniment plus libre que la fabrication d’une fiction. Sans doute les paperasseries et la rigueur des plannings me répugnent-elles. De plus, je trouve enivrant de se sentir soudain projeté dans la peau des frères Lumière et dans celle de Georges Méliès tout à la fois...

Un film se doit d’être unique ! Donc forcément différent. Mais alors, en quoi Terres grecques - De l’olympe aux Îles grecques -  peut-il bien être si différent d’autres productions du genre ?

Je crois qu’il l’est par ma répulsion innée du didactisme d’abord. Les rares films que j’ai conçus, produits et réalisés sont le produit d’un travail tactile, faisant la part belle à l’impression, à l’émotion. Ils sont nés de manière viscérale.

Et puis, il y a ma propension à croire que l’essence même du cinéma le rapproche davantage de la peinture que du théâtre ou de la littérature. Un peintre emporte sa toile et son chevalet. Moi, un jour, j’ai pris ma caméra et mon trépied. Et cent fois le chemin de la Grèce...

  Pour être cohérent, j’ai aussi tenu à ce que ce film se présente en finale sous l’aspect d’une vaste galerie d’exposition. Je vous invite à la parcourir et à y découvrir des bribes de civilisations, des paysages, des visages. Mais des visages surtout.

Que m’importe, dans ces conditions et pour autant que le mélange en reste harmonieux, l’antériorité de certaines oeuvres exposées (ou séquences) dans le film ? »


 

 

(Titres et sous-titres de l'article:)


Jacques Lambert tente de nous faire partager son coup de cœur pour la Grèce.

Son film  -  ô combien controversé - s’éclaire tout à coup d’un jour nouveau...

 

La genèse d’un tournage


 

« Expliquer ce qui m’a donné l’idée d’explorer le monde grec me semble plus compliqué que de dire comment l’esprit vient aux filles !

En tout cas, rien, absolument rien ne me prédisposait à entreprendre pareille démarche. Ma première approche du monde grec date de mes études de cinéma : l’histoire des civilisations et l’histoire de l’art m’ouvrent deux premières lucarnes sur la Grèce. Oui, mais sur la Grèce d’hier...

Mon retour d’un tournage de neuf mois dans les deux Yémen (aujourd’hui réunifiés) provoquera en moi « le » grand déclic nécessaire à toute entreprise d’envergure. En une seule journée, j’ai ainsi l’occasion de survoler les récifs de corail de la mer Rouge, les sables rougeâtres d’une Arabie Saoudite parcourue en diagonale (guerre égypto-syro-israélienne oblige !), les cours sinueux du Tigre et de l’Euphrate, les montagnes turques, la mer Egée et sa multitude d’îles, l’Italie, les sommets enneigés de la Suisse, la « jungle » verdoyante du massif ardennais. Mais parmi cette gamme de couleurs fort diverses, ce qui devait particulièrement retenir mon attention, c’était cet espace gigantesque où mer et ciel se disputaient la même couleur bleue, où les navires semblaient flotter dans l’espace ! Et de partout, d’immenses rochers faisaient mine de nous rejoindre, surgissant de ce nulle part bleuté.

Un paysage aussi prodigieux ne pouvait être peuplé que de gens fabuleux. C’était la Grèce et je ne me trompais guère...

Mon premier film réalisé dans cette contrée fut Printemps crétois, et le dernier en date : Terres grecques.

Dire que je venais de découvrir le paradis terrestre serait exagéré ! J’ai rencontré là-bas un peuple attachant, de condition le plus souvent modeste : ne perdons pas de vue que la Grèce partage avec le Portugal le triste privilège d’être la lanterne rouge économique de l’Union Européenne.(*) Mais cette population rude, fière et terriblement généreuse, a conscience de vivre dans « le plus beau pays du monde ! »...

La Grèce d’aujourd’hui, à l’image du siècle de Périclès, constitue un curieux amalgame de rationalisme occidental et d’irrationnel oriental. Dans un contexte économique difficile, cela se traduit par une logique de la débrouillardise et de l’à peu près, mais également par un sens aigu du partage, du non laissé pour compte ; la musique traditionnelle est plus proche de la musique orientale que de la nôtre et le « dè pirazi » (ça n’a pas d’importance! ) est l’expression la plus usitée à l’image du « malech » arabe ; et, comme dans tout pays musulman, la convivialité poussée à l’extrême est une règle absolue !

Il n’est pas facile de comprendre la Grèce d’aujourd’hui et se limiter à la seule étude des civilisations prestigieuses de l’antiquité, c’est immanquablement passer à côté de l’essentiel. Il est vrai qu’en éviter le sujet conduit au même résultat ! J’avais  rêvé, je l’avoue, d’un film affranchi de toutes contraintes archéologiques au profit d’une vision quasi exclusive de la vie du peuple grec. J’ai vite compris mon erreur : certains sites se sont imposés d’eux-mêmes à mes caméras, ceux dont les Grecs sont fiers parce qu’ils y trouvent peut-être une compensation psychologique aux carences de leur condition présente...

J’ai tenté malgré tout de privilégier les scènes de la vie quotidienne d’une majorité de gens ordinaires car c’est, à mon avis, la façon la plus directe de faire la connaissance d’un pays. Avec, évidemment, tout ce que cela comporte de vibrations personnelles, d’émotions et de drôleries partagées.

Deux ans et demi de tournages et de présence en Grèce ne me permettent pas de prétendre avoir tout compris. Loin de là. Parlant de Terres grecques, j’affirme seulement qu’il s’agit là d’une approche originale, patiente, honnête et... subjective.

Et tant pis si mes détracteurs vont jusqu’à prétendre que « le film aurait pu avoir été tourné ailleurs », en ajoutant perfidement, profitant de l’insertion (jugée par moi riche de sens) de films d’archives, « à une époque antédiluvienne ». Venant de martiens en vacances, ces propos me laissent toutefois indifférent... »


 

(*) Ce texte est évidemment antérieur à l’élargissement de l’Union Européenne. Force est cependant de constater que la situation économique du pays n'a guère changé en ces temps de crise...


 

 

 

Il était un « petit » navire...


 

« Mes deux ans et demi de séjour en Grèce m’ont valu, c’est tout naturel, de vivre pas mal de péripéties tragi-comiques... L’une de mes arrivées au port de Patras m’est restée gravée dans la mémoire.

Nous étions deux mille à bord de ce ferry, mais comme toujours au terme d’un voyage, au moins vingt mille à nous masser sur les ponts supérieurs à l’heure de l’accostage !...

Horreur absolue: pour tout comité d’accueil, il y avait là, au beau milieu d’une centaine d’hectares de béton noyé de soleil, la silhouette frêle et solitaire d’un petit homme soudé aux bras d’un chariot vide...

Rarement dans ma vie ai-je pu assister à pareille colère ! Zeus, en habit d’amiral, fulminait. A l’aide d’un porte-voix, dont il aurait aisément pu se passer, l’amiral lança à la fragile esquisse d’homme hébété un foudroyant :

- « Dis donc, est-ce que tu ne prendrais pas mon navire pour une barquette, par hasard ? ».

Furieux, il réintégra l’un des trous de son nid de ferrailles et fit relancer les machines du bateau.

J’étais inquiet et me demandais jusqu’où pouvait aller l’ire d’un commandant de navire grec ! J’imaginais le pire.

Alors, nous avons regagné dare-dare la haute mer, exécuté dans l’immensité liquide un interminable virage et nous nous sommes représentés au quai une seconde fois.

L’étrange créature, mi-pieds mi-roues, s’était miraculeusement reproduite en une infinité d’exemplaires...

Moi, j’avais l’impression de mieux comprendre, soudain, toute l’œuvre de Kazantzakis !.. »

 

 

Les bienfaits d’un bateau ivre

 

« Certaines péripéties vécues en Grèce ont été à l’origine de ce que je considère comme comptant parmi les plus belles séquences du film.

Les autorités du port d’Héraklion venaient de me signaler que si je décidais de me rendre à Tinos, Paros ou Mykonos, le mieux pour moi était de gagner d’abord la petite ville d’Agios Nikolaos. (J’étais en Crète, en effet). Il y avait précisément là, le lendemain vers midi, un départ pour ces îles.

Le car-ferry annoncé était en réalité un navire de ligne qui tournait inlassablement en mer Egée pour relier entre elles une dizaine d’îles importantes et son passage était en principe on ne peut plus régulier.

Le jour du grand départ arrivé, nous étions nombreux à l’attendre sur le quai de béton brûlant : deux cents selon la police, quatre cents selon les autorités portuaires, dix mille selon moi. Objectivement, davantage peut-être! De tous âges, de tous sexes, bardés de valises et colis hétéroclites, de sacs débordants, petits marchands, familles grecques en goguette, escargots de tous poils (c’est ainsi que les Crétois appellent les nombreux jeunes routards)...

Sous les excès de zèle d’un soleil-bouillotte, la position assise, voire couchée, semblait de rigueur et donnait à l’endroit l’aspect d’un bivouac indolent.

Midi, et pas de bateau en vue.

Treize heures, rien.

Quatorze heures, toujours rien. Si ce n’est un homme, en prestigieux uniforme, qui fit une soudaine apparition : silhouette verticale qui avait le privilège de porter une élégante casquette, la seule ombre des environs.

L’apparition, étonnée, s’enquit du pourquoi de cet étrange rassemblement.

- Le ferry pour les îles ? Mais c’est demain, les enfants ! Pas aujourd’hui !

Rumeur, humeur. Puis chacun se retira plus ou moins dignement, sans trop comprendre.

L’explication était pourtant simple. Trois semaines auparavant, le navire avait connu quelque avarie, s’était arrêté une vingtaine d’heures afin de réparer. Sa ronde incessante interrompue, il n’avait jamais pu rattraper son retard et il devenait de plus en plus évident qu’il ne le ferait jamais : ses horaires seraient décalés pour l’éternité...

Cette après-midi là, j’ai pris la décision de me réfugier en haute montagne, espérant y trouver quelque fraîcheur bienvenue.

Je devais y faire diverses rencontres. Oh, rien là d’extraordinaire en soi. Mais tout simplement fabuleuses.

Les premières, celles de dames, dont l’une d’âge très respectable, juchées royalement sur leur âne. Mais bon Dieu, quelle allure ! Et cette amabilité sereine ! On a parfaitement raison de dire que les civilisations de l’âne ne sont pas agressives. Et ces seins qui dansent sur la musique d’un transistor imaginaire...

La plus âgée m’appelle. Je m’approche, prêt à lui rendre un quelconque service. Mais rien de tel pourtant. Arrivé à sa portée, elle sort d’un grand sac de cuir qui lui sert également de dossier, la plus belle grappe de raisins que la terre ait jamais porté, me la tend, pour l’amitié, pour le partage. Tout un symbole.

Le partage...

L’autre rencontre fut, elle, bizarre, étonnante, fantasmagorique. Onirisme étrange auquel je peux prétendre avoir survécu, Dieu seul sait comment ! Ce fut celle de ma fameuse bergère au regard assassin. Je ne sais d’ailleurs qui, d’elle ou de moi, en fut le plus troublé... Une poigne de fer, un regard d’acier, à l’image de la rudesse des conditions de vie en Grèce... Tout un symbole encore.

Redescendu sur terre, ce fut alors la vision infernale d’un four à chaux peu ordinaire. Images dantesques de fumées, de feu et de cendres. Volcan créé par l’homme. Domestiqué par lui.

Vous le voyez, je dois beaucoup à ce grand bateau ivre. Il m’a permis de vivre des moments forts et de vous les faire partager. »

 

 


Séquence du pique-nique. Photos extraites de Terres grecques.

Le guet-apens 



 

« C’était en réalité un premier mai. Je voulais, par le chemin des écoliers, atteindre un petit village sans nom, entr’aperçu de loin dans la montagne. La voiture bondissait un peu sur ce chemin de terre et de roche aplanies.

De l’accotement boisé, un homme surgit soudain, agitant nerveusement les bras. Un personnage à la Kazantzakis ! Une bouteille de vin à la main, un morceau de viande dans l’autre, ainsi affublé, cela ne pouvait être un auto-stoppeur, j’en étais sûr. Une invitation sans doute et je passai ma route...

Un kilomètre ou deux plus loin, coup de frein obligatoire. Arrêt in extremis. Un tuyau métallique, comme il en existe des milliers dans les systèmes d’irrigation locaux, traversait ma route à 15 ou 20 centimètres de hauteur. Passer sans risquer de rompre la canalisation se révéla impossible, tout comme l’était aussi la moindre manœuvre d’évitement!

Je commençai peut-être à mieux comprendre les gestes grandiloquents de mon fêtard de bord de route...

Demi-tour obligé.

A la grande joie d’ailleurs de celui-ci qui jubilait et s’était mis à danser au milieu de la route !

Cette fois, impossible d’échapper au piège. J’étais l’invité, l’hôte, celui à qui tout est dû. Je n’eus d’autre alternative que de descendre de voiture...

Notre homme n’étant pas seul, ce fut aussitôt l’accueil d’une famille au grand complet. Adieu, village inconnu ! Pour l’heure, il fallait fêter le 1er mai, faire honneur au pique-nique, et surtout bien arroser le tout...

En retrait, dans l’ombre épaisse d’oliviers tortueux, s’abritait du soleil assassin toute une nichée d’adorables bambins que le regard ronronnant de ma caméra ne troubla même pas...

Ainsi allait naître, entre ombres et lumières, une des plus jolies séquences qui soient. (Cette séquence figurait déjà au menu de Printemps crétois.)

Pardon, vous avez bien dit « convivialité » ? Si ! je vous assure, je vous ai entendu murmurer « convivialité »...

Elle n’était pourtant pas récente cette séquence ! Antédiluvienne devrais-je dire, pour parodier mes détracteurs. Mais à ce point révélatrice de l’âme grecque qu’une force invincible me poussa à la réédition... Au mépris d’une séquence touristique dont elle avait pris la place. Mais bof ! après tout, quelle importance ! »


(Cette séquence   de Printemps crétois a  été reprise intégralement dans  Terres gresques.)


 


(Séquence déjà présente dans Printemps crétois)

Anastènaria,danses pieds nus sur des braises



 

« J’en avais vaguement entendu parler. Mais lorsque j’ai pu assister pour la première fois, à cette manifestation religieuse d’un genre particulier, j’avais le cœur qui battait très fort. Mes pas rencontrèrent d’abord ceux d’une étudiante grecque, Vasso Boukouvala, pour qui les anastènaria constituaient le sujet de sa thèse universitaire.

- Les anastènaria, me dit-elle, concentrent leurs activités en deux points très précis de la ville. D’abord, la konaki, « petite maison » en turc, qui est en quelque sorte une chapelle remplie d’icônes, de cierges allumés et d’ex-voto. C’est le point d’ancrage permanent des anastènaridès (les danseurs). Ensuite, le lieu aménagé public où se dérouleront les danses. Il n’est pas choisi au hasard et constitue exactement le centre d’une gigantesque croix, formée par la rencontre de deux routes perpendiculaires…

A la konaki, d’heure en heure, de manière plus ou moins privée, quelques anastènaridès, d’abord isolés, puis par petits groupes, répétaient inlassablement, battant le sol de leurs pieds nus, au son des tambours, des laoutos et des lyras (sorte de petits violons).

- Une chose est certaine, me confia  encore l’étudiante, leurs pieds ne bénéficient d’aucune crème, d’aucun soin particulier. C’est troublant !

Elle avait obtenu le droit d’examiner les pieds immédiatement après les danses et, ô stupéfaction, n’avait pu y constater la moindre trace de brûlures, même superficielles.

Les anastènaria se déroulaient en trois soirées consécutives. Lors de la répétition dans la konaki, les danses commençaient toujours de manière calme et le rythme s’accélérait progressivement au point de devenir, accompagné d’une musique répétitive, une sorte d’abrutissement collectif. En réalité, l’esprit semblait ailleurs, loin du corps.

Ensuite, les danseurs allaient se rendre sur le lieu public pour y danser sur les braises, durant une heure au moins.

Stamatis Lioros, président des anastènaridès, daigna me donner quelque explication sur la cérémonie :

- Nous perpétuons cette coutume en Grèce depuis 1914. Le grand public n’en a toutefois eu connaissance qu’en 1947. Nous dansons, pieds nus sur des braises, pour le bien de la nation et de l’humanité toute entière. Notre coutume est purement religieuse : Saint Constantin, le grand chef d’Etat que nous connaissons tous, sur le conseil de sa mère Sainte Hélène, avait osé traverser le paysage en feu pour braver les Romains et c’est ainsi qu’il put obtenir la victoire sur eux.

- Comment se fait-il que vous ne vous brûliez jamais ? lui demandai-je.

- Nous dansons avec les saintes icônes en main. Nous sommes croyants. C’est un problème de foi !

Pourtant l’Eglise Orthodoxe ne voyait pas, loin s’en faut, d’un très bon oeil l’organisation de cette cérémonie religieuse indépendante d’elle.

Un habitant très érudit de Langada m’avait, lui aussi, donné un avis particulièrement critique et intéressant.

-  Les anastènaria, m’expliqua-t-il, remontent à plus de 3.000 ans, au temps des Achéens. A cette époque, c’est de cette manière qu’on fêtait, en scandant son nom, Vakhos (Bacchus ?) dans de nombreux villages thraces et bulgares isolés. En temps que phénomène oral, cette cérémonie à n’en point douter reste extraordinaire. On la retrouve aussi en Afrique. (*)

Les anastènaridès d’aujourd’hui, ajouta-t-il, sont pour la plupart des employés, des ouvriers et des agriculteurs. Ils sont très croyants et sincères dans leur démarche. Mais, consciemment ou non, ils appellent de leurs vœux un grand-père dont ils ignorent tout, mais qui est en fait Vakhos. Questionnés sur un éventuel secret, les anastènaridès, caste rigoureusement fermée, restent muets…

Personnellement, je me persuadai, à l’instar de mon interlocuteur érudit, qu’il ne s’agissait pas de magie, mais plutôt d’un phénomène d’autosuggestion.

Autosuggestion ou pas, cette nuit-là, je me suis promené, bien après l’heure des danses, dans le cercle des cendres grises redevenues apparemment inoffensives. Et j’ai eu la surprise de voir fondre mes semelles.

Alors je me suis  enfui avec mes souliers de peu de foi. »


 

(*) Ainsi qu’au Sri Lanka. Une « marche sur le feu » était d'ailleurs au menu  du film posthume de Richard Chapelle consacré au Sri Lanka et que j'ai eu quelquefois  l'occasion de présenter en france.






 

 

Extraits du film


 

 

Extrait 1.


 

Intérieur église. Images traitées en contre-jours sur vitraux non colorés, nous sommes proches de l'effet  noir et blanc. La musique est grinçante, intermittente et pour tout dire cacophonique. Commentaires:


« Agnostique ou religieuse, l’ombre est ici toujours cadeau. Et dans la sérénité toute provisoire d’une église, j’ai même surpris, je vous le jure, des diables heureux…


De diables d’hommes que ceux-là, impassibles et larvaires, aux gestes lents, sournois, sans gloire. Monstres-araignées qui prolongent en silence les fantasmes de Byzance.


Des peintres d’aujourd’hui restauraient des fresques d’autrefois. »


Photo extraite de Terres grecques.

 

Extrait 2.



 

Eglise, place de village, un café. Un groupe d’hommes attablés joue au tavli. Une petite fille les accompagne. Peu à peu, la lumière se fait crépusculaire. Une musique traditionnelle crétoise (lyra et laouto) s’élève lentement. Commentaire:


« Proche de l’église et de la place du village, on ne peut guère imaginer autre présence que celle du café. En ce lieu privilégié fait d’ombres et de musiques, l’on traversera mieux, peut-être, le cap torride des après-midi d’été.


Comment décrire cet endroit béni des dieux où il ne se passe jamais rien et où, par conséquent, tout peut encore arriver ? On y vient de partout, attendre entre hommes, dans une infinie quiétude. Attendre qui ? Attendre quoi ? Chacun l’ignore superbement. Mais on attend tout de même ! Avec ici, plus que partout ailleurs, la prise de conscience aiguë du temps qui passe… »


Photogramme de Terres grecques.

Extrait 3.

 

Séquence finale.  Le soleil se couche sur le café.  Réagissant à la sirène très lugubre d'un navire, un homme à la casquette de marin relève la tête.

























Un navire gigantesque et noir s’en va. Un voilier minuscule s’en vient. Les couleurs s’irisent violemment à leur croisement. Le soleil rouge, au lieu de disparaître, s’immerge et poursuit sa course au fond des eaux de la mer. Musique crétoise animée.




















































Commentaire:

" Le bateau qui m’avait amené avait les allures d’un berceau blanc. Je ne m’en souviens plus mais on m’a dit qu’il était blanc. C’est ainsi dans toutes les histoires du monde : on ne se souvient jamais de leur début."

Le passage d’un troupeau de moutons munis de clochettes interrompt le narrateur.

Photo extraite de Terres grecques.

Le commentaire reprend:

" Aujourd’hui, le grand bateau blanc a pris des allures de corbillard marin. Rames et crocs se devinent sous la mer. Et Charon lui-même en tenue d’amiral dirige la manœuvre.

On voudrait soudain y échapper…

Oh, rien qu’un peu bien sûr ! Il faut être raisonnable ! Y échapper, oui…Mais… rien qu’un peu. "

(Allusion à l'une des devises de Socrate, "Rien de trop", prônant la modération en tout et à laquelle le film fait référence.)

La musique traditionnelle s'éteint très   progressivement et fait  place à un  silence total.

Curieusement, le soleil rouge, lui,  loin de s'éteindre,   poursuit sa route dans les profondeurs marines...

 


Couverture de la K7 version européenne.

Couverture de la K7 version américaine.

Site de Cnossos.

Terres  grecques.

Histoire des civilisations



 

L’âge du bronze débute en Grèce avec l’arrivée par mer, vers l’an 2600 avant J.C., de ceux qu’il est convenu d’appeler les Pélasges. D’origine inconnue, les nouveaux venus amènent dans leurs bagages des techniques neuves, celles du bronze bien sûr, mais également de nouvelles cultures, celles de la vigne et de l’olivier dont ils feront profiter les Cyclades d’abord (civilisation cycladique), la Crète ensuite (civilisation minoenne).

Vers l’an 2000 avant J.C., avec la dynastie des Minos, commence à se développer en Crète une civilisation originale qui atteindra son apogée vers le milieu du deuxième millénaire, civilisation axée sur la navigation et le commerce.

Le roi Minos possédait une flotte importante administrée de manière rigoureuse et entretenait des liaisons maritimes régulières avec Chypre et l’Egypte d’où l’on ramenait le cuivre (Chypres, Kypros, cuivre). Les contacts étaient fréquents avec les Cyclades, la Grèce et l’Asie Mineure. Plus loin encore, les Crétois commerçaient avec la ville de Troie, les îles Eoliennes et la Sardaigne.

Les Crétois de l’époque connaissaient la soudure, les serrures et les clefs. Architecture (palais-ville), poteries et fresques (la petite Parisienne, le Prince aux lys…) témoignent d’un raffinement culturel tout à fait exceptionnel. La position centrale et privilégiée du palais de Cnossos va tout naturellement servir sa force dominante et l’imposer progressivement à l’île toute entière.

Le roi Minos nous est connu au travers des aventures de Thésée. Fils d’Egée, un roi d’Athènes, Thésée devait faire partie (avec, pour mission, de tuer « la » bête) d’un de ces contingents de jeunes filles et jeunes gens envoyés régulièrement en Crète afin de servir de pâture au Minotaure. L’horrible bête, née des amours de Pasiphaé, épouse du roi Minos, avec un taureau, ne se nourrissait en effet que de chair humaine et vivait enfermée dans un labyrinthe spécialement construit pour elle par l’architecte Dédale. Mais grâce à la complicité d’Ariane, la fille du roi Minos dont il était tombé amoureux, et à l’utilisation du fameux fil qu’il déroulait tout au long de sa progression, Thésée avait réussi à égorger le Minotaure et à regagner la sortie du labyrinthe.

La civilisation minoenne disparaît à l’époque de l’explosion du volcan de Santorin (vers 1450 avant J.C.).

 


L’énigme de l’Atlantide



 

La notion même d’Atlante nous est connue par deux textes de Platon : le Critias et le Timée.

Le gouvernement athénien, modèle du genre, aurait, selon Platon, remporté une éclatante victoire sur le peuple des Atlantes, 9.000 ans auparavant et serait de ce fait devenu le libérateur, entre autres, du peuple égyptien. Malheureusement, le territoire de l’Atlantide aurait été englouti, peu après, dans un immense cataclysme en même temps qu’aurait été détruite la ville d’Athènes.

Pour certains, l’Atlantide ne serait qu’une affabulation de Platon qui lui aurait permis de célébrer ce qui, selon lui, devait être un gouvernement idéal. Mais pour d’autres, elle peut être considérée comme une réalité historique…

Alors, dans l’hypothèse d’une réalité historique, peut-on identifier les Atlantes comme étant le peuple minoen ? En divisant par dix tous les chiffres cités par Platon, corrections d’erreurs imputables à des traductions ou à des exagérations mythiques (la Bible elle-même ne parle-t-elle pas de personnages ayant vécu 900 ans ?), on s’aperçoit qu’effectivement, on en arrive à la date de l’explosion du volcan de Santorin et du tsunami qu’elle avait créé, ainsi qu’aux dimensions de Santorin et de la Crète…

La question, toute pertinente soit-elle, demeure aujourd’hui sans réponse…


Mykonos. Photogrammes de Terres grecques.

Santorin et son volcan (L’Atlantide ?).  Photogrammes de Terres grecques.

Ia. (Ile de Santorin)

Terres grecques.

La Grèce archaïque



 

Athéna, déesse de la guerre mais aussi… de la raison (allez comprendre de tels amalgames !), fut en fait introduite par les Pélasges, tout comme la plupart des dieux d’ailleurs. Elle donna son nom à la cité d’Athènes dont elle deviendra la protectrice.

Fondée à la fin du néolithique, organisée en tribus au temps des Ioniens, Athènes connaît d’abord une période de rois légendaires. Parmi ceux-ci, retenons Cécrops, le fondateur. Retenons ensuite Egée dont l’asservissement, après un siège d’Athènes par Cnossos, l’obligeait à envoyer régulièrement en Crète la chair humaine destinée à assouvir les appétits du Minotaure. Pauvre Egée ! qui, préférant la mort au chagrin, se suicida en se précipitant dans les eaux d’une mer qui porte aujourd’hui son nom. Double erreur funeste ! Celle de son fils Thésée d’abord, qui, pour son retour de Crète, n’avait pas hissé la couleur de voile convenue en cas de réussite. La sienne ensuite, lui qui n’avait pas appris à nager…

Athènes, préservée de l’invasion dorienne, va connaître, peu à peu la prospérité. Au 8e siècle, la royauté est progressivement remplacée par une aristocratie terrienne devenue très puissante, celle des Eupatrides. Au 7e siècle, avec l’introduction de la monnaie, c’est au tour des commerçants enrichis de briguer le pouvoir. Mais colère des petits propriétaires et crise agraire vont amener d’abord au pouvoir les Tyrans qui tenteront, avec l’appui du peuple, de dépouiller les aristocrates. S’ouvre une ère de réformes.

Nous sommes au 6e siècle quand Solon, riche négociant, prend le pouvoir et dote Athènes de sa première constitution démocratique… que le tyran Pisistrate et ses fils Hipparque et Hippias abolissent, mais que Clisthène finit par rétablir, et de manière plus libérale encore.

Royauté, gouvernement aristocratique, tyrannie, démocratie, tel est donc l’itinéraire politique suivi par Athènes durant la période dite archaïque.

A noter que la démocratie, régime conçu par l’homme pour le bien de l’homme, ne servait en fait que les intérêts d’une minorité d’hommes libres ayant par ailleurs droit de vie et de mort sur quantité d’esclaves. Apprécié dans le contexte de l’époque, le fait déjà de ne plus exécuter les prisonniers mâles, mais de s’en faire des esclaves, peut être considéré comme un progrès, même si le changement opéré poursuivait des buts économiques davantage qu’humanitaires.



 

 

 

La Grèce classique



 

Le soutien d’Athènes aux cités grecques d’Asie Mineure en lutte contre l’envahisseur perse vaudra à la Grèce de subir les pressions d’une première expédition perse menée par Darius. Les Athéniens repoussent l’ennemi en 490 à Marathon.

L’an 480 voit Xerxès, fils de Darius, tenter une nouvelle invasion de la Grèce. En vain ! Car la flotte grecque met en déroute les vaisseaux perses. Et Platée sera le théâtre, l’année suivante, de l’écrasement de la soldatesque étrangère.

Une libre association des cités grecques, créée sous son autorité (ligue de Délos), consacrera, si il le fallait encore, l’hégémonie d’Athènes.

Athènes atteint son apogée sous le siècle de Périclès (470-429). L’économie plus florissante que jamais rejaillit sur la pensée, les sciences et les arts. Une explosion dans tous les domaines ! l’histoire avec Hérodote et Thucydide, la médecine avec Hippocrate, la tragédie avec Eschyle et Euripide, la comédie avec Aristophane, la philosophie avec Socrate et son disciple Platon…

La Grèce du classicisme ne constituera jamais une entité une et indivisible, mais bien une juxtaposition de cités, insolentes de richesses et jalouses les unes des autres au point de mener entre elles des luttes fratricides : Athènes, Sparte, Thèbes, Delphes…

Le ver est dans le fruit.

 

 


Acropole d'Athènes. Terres grecques

Site de Delphes. Terres grecques.

Gymnase et Tholos. Delphes.

Terres grecques

 

Une note découverte par pur hasard sur le site français du Ministère de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie: Les dossiers "Clés en main" du Centre Régional de Documentation Pédagogique de l'académie de Grenoble:


TYPE DOC. Vidéocassette VHS

LANGUE Français

AUTEUR Lambert, Jacques. Réalisateur de films.

TITRE Terres grecques  (Iles et dieux de la grèce)

RESUME L'auteur nous invite à une flânerie privilégiée à travers les terres grecques. * La création du monde et les dieux de l'Olympe. * Les îles. Un document de qualité qui élève le niveau des conférences traditionnelles.